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© Esther Valiquette, EXTENDERIS (1993). Image tirée de la vidéo.

 
 
 

Carte blanche à Anne Golden

Le 31 mars 2022 à 19 h
Réservation et port du masque exigés

Le programme débutera à 19 h précises

Veuillez noter que cette activité sera assujettie aux normes sanitaires en vigueur au moment de sa présentation.

Vidéographe et Dazibao confient dans le cadre de la série dv_vd une carte blanche à la talentueuse artiste et commissaire Anne Golden. Lauréate du Prix Robert-Forget, ce programme est l’occasion pour Golden de mettre en lumière les œuvres qui l’ont inspirée au cours de sa prolifique carrière.

NEVER GONNA GIVE YOU UP

« Le titre du programme fait référence à la chanson des années 1980 de Rick Astley.

Never gonna give you up
Never gonna let you down
Never gonna run around and desert you

Ces paroles expriment ce que je ressens à l'égard des œuvres de ce programme et l'admiration que j'ai pour les artistes. Je ne les abandonnerai jamais et ils ne m'ont certainement jamais laissée tomber. En fait, ce sont des œuvres auxquelles je me réfère souvent.

Durant les années 1980, j'ai été exposée à l'art vidéo et au cinéma indépendant, à des réunions et à des marches, à des actions et au début de longues associations avec Image et nation gaie et lesbienne (maintenant Image+Nation) et le Groupe Intervention Vidéo. Je me passionne pour les films et les vidéos produits par des artistes queer. Je réaliserai bien plus tard que j'attendais ces œuvres. Elles font de moi une fan. Elles m'apprennent. Elles me font rire. Je crois qu'elles m’ont façonnée. Ces derniers temps, sont remontés à la surface des souvenirs de ce que ces œuvres ont représenté/représentent pour moi.

Mes sélections reflètent les expériences formatrices clés dans ma vie professionnelle. J'ai obtenu un baccalauréat en études cinématographiques à Concordia. J'avais peu d'idées sur ce que je pouvais faire comme travail, au-delà de regarder, aimer et analyser des films. J'ai postulé au Festival international de films et vidéos de femmes de Montréal (aujourd'hui malheureusement disparu). J'ai été embauchée comme assistante-programmatrice de films, un terme qui n'est plus en vogue. J'ai vu de l'art vidéo pour la première fois et j'ai été intriguée, puis accrochée. Le deuxième festival pour lequel j'ai travaillé était Image et Nation. Mes deux expériences de travail dans les festivals se sont ainsi croisées. Je travaillais au Festival international de films et vidéos de femmes pendant six mois et j'étais bénévole à Image et Nation pendant les six autres mois. J'ai également commencé à travailler au Groupe Intervention Vidéo en 1989. J'occupais enfin des postes qui me permettaient de voir constamment des œuvres d'art médiatique.

Ce programme reflète mon intérêt pour les débuts de l'art vidéo, pour les œuvres qui mettent en lumière l'activisme autour du VIH/sida et pour les œuvres expérimentales qui relèvent autant d’une expérimentation de la forme que du contenu. Il y a huit ans, j'ai rejoint l'équipe de programmation du MUFF (Montreal Underground Film Festival) et j'ai réalisé à quel point l'expérience de visionner des œuvres en communauté m'avait manqué.

Il s'agit en somme d'un programme sur la nostalgie et le deuil. Esther Valiquette et Cathy Sisler étaient souvent dans mes pensées lorsque je regardais des œuvres et que je réfléchissais à mes sélections. Les deux hommes de DHPG Mon Amour, David et Joe, si vivants et vibrants en Super 8, sont partis. Il y a aussi une nostalgie nourrie par des formats vidéos et des procédures de montage obsolètes. J'ai également pensé aux nombreux amis et collègues qui ont visionné et discuté de ces œuvres avec moi. Je me souviens (souvenir ou souhait ?) que nous avons ri aux bons moments et ressenti de la colère et de la tristesse en solidarité avec les artistes.

Never gonna give you up. »

— Anne Golden, 2022

Programme

Charles Binamé, Réaction 26 (1971) — 4 min. 35 sec.
Distribution : Vidéographe

Réaction 26 compte parmi les nombreuses rétroactions vidéos du début des années 1970 à avoir contourné la seule méthode de montage de l’époque. Depuis, le montage vidéo a beaucoup évolué pour former une série de procédures coexistantes. Dans les balbutiements de cet art, le processus était toutefois laborieux, chronophage et parfois même imprécis. Les motifs groovy, fluides, inspirés des années 1960 et montés sur fond musical témoignent de la prépondérance des longues prises utilisées dans les productions vidéos contemporaines du temps. Des vidéos comme Réaction 26 semblent tout droit sorties d’une époque parallèle, où le sujet n’était pas inexorablement lié au processus d’enregistrement. La rétroaction constituait ainsi un moyen de générer une forme d’effet spécial (en grande partie) incontrôlable qui modifiait l’image. Réaction 26 se veut en ce sens un voyage imaginaire contre-culturel, plus ou moins structuré.

Jean-Pierre Boyer, Vidéo-Cortex (1974) — 6 min. 35 sec.
Distribution : Vidéographe

Figurant, à mon sens, parmi les plus grands vidéastes de ce monde, Jean-Pierre Boyer est l’un des membres fondateurs du Groupe Intervention Vidéo.

Ce dernier est l’inventeur du boyétizeur, un dispositif synthétiseur ayant permis entre autres aux artistes d’expérimenter à l’aide d’images se recroquevillant sur elles-mêmes. Ses vidéos réalisées durant la première moitié des années 1970 présentent d’élégantes abstractions créées par sa propre invention. En 1974, Jean-Pierre Boyer organise l’événement L’Image électronique, qui se tient au Musée d’art contemporain. Parmi les participants figurent Woody et Steina Vasulka. La conférence comprend des sections sur les synthétiseurs Paik-Abe et Rutt-Etra. Selon le prospectus, l’événement visait avant tout à informer sur « les possibilités inexplorées du média télévisuel » (Boyer, 1974, 2). Le texte utilise indifféremment les termes « télévision » et « vidéo », et adopte un ton qui se rapproche de l’utopie.

Louise Gendron, Femmes de rêve (1979) — 10 min.
Distribution : GIV

Ce classique de la fin des années 1970 constitue une fresque des images du « féminin » et de la « féminité » véhiculées par les publicités diffusées à la télévision et dans la presse écrite. Cette vidéo présente un montage rigoureux et un joyeux massacre de la culture populaire visant à commenter l’idée de la « femme ». Louise Gendron est notamment membre fondatrice du GIV.

Femmes de rêve présente un montage en accéléré d’images extraites de la télévision (repiquage). Cette nouvelle tendance de l’époque a depuis été mise à contribution à d’innombrables reprises par les vidéastes. Femmes de rêve devient la télévision tournée sur elle-même, servant à « diffuser » une évaluation alternative des images qui défilent devant nous. Cette vidéo est une condamnation précoce de la notion destructrice de superfemme propre aux publicités du temps, une promesse de progrès et de bonheur en conserve. À la rencontre du féminisme et de la technologie vidéo, Femmes de rêve est un déferlement d’humour et de rage.

John Greyson, The Ads Epidemic (1989) — 4 min.
Distribution : Vtape

Cette œuvre est une parodie de l’œuvre Mort à Venise. En fait, dans « ceci n’est pas Une mort à Venise... », Aschenbach succombe à une attaque d’ADS (Acquired Dread of Sex) tandis que Tadzio apprend que le sexe sans risque est tout aussi plaisant. Greyson adopte une approche musicale, humoristique et éducative. En quatre brèves minutes, il plaide pour la pratique de rapports sexuels sans danger. Il s’agit d’une histoire très à propos, tant à l’époque qu’aujourd’hui.

Lors d’une projection de la mini-comédie musicale de Greyson à Image et Nation en 1990, j’ai surpris quelques membres de l’auditoire à chanter au son de la vidéo. Ce fut un moment à la fois cocasse, émouvant et poignant.

Carl Michael George, DHPG Mon Amour (1989) — 12 min.
Distribution : The Filmmakers Coop

Cette œuvre m’a prise aux tripes quand je l’ai vue pour la toute première fois. Crue, honnête et factuelle, elle symbolise la manière de « répliquer » des militants et des artistes se dévouant pour la cause du sida. La puissance de ce film réside en partie dans la représentation de deux hommes exécutant des rituels quotidiens, y compris l’auto-injection de médicaments qui n’étaient pas encore offerts sur ordonnance. DHPG Mon Amour témoigne du fait que certains individus choisissent de gérer eux-mêmes leur santé. Les hommes en question ont obtenu les médicaments par l’entremise de canaux clandestins dans l’optique qu’il vaut mieux tenter un traitement expérimental que de se résigner à l’option alternative qui s’offre à eux. Le film dépeint ces deux hommes qui prennent des décisions et qui posent des actions, sans que cela n’aille plus loin.

En ce qui a trait à la description de ce film, je préfère ce qui suit à tout ce que j’ai tenté d’écrire jusqu’à présent.

« Le film en format Super 8 de Carl M. George, DHPG Mon Amour, est une œuvre profondément émouvante, décalée et difficile qui raconte une journée dans la vie de deux hommes, David Conover et Joe Walsh. Suivant le parcours de Walsh, alors qu’il termine son quart de travail à la Community Research Initiative de New York et qu’il achète à manger, le film s’ouvre sur Nights in Tunisia d’Ella Fitzgerald, joué en toile de fond tandis que Walsh se décrit lui-même, ainsi que Conover, son partenaire des huit dernières années. Joe a été diagnostiqué séropositif en 1985; David vit avec le sida depuis plusieurs années et est actuellement aux prises avec une rétinite à cytomégalovirus, une maladie qui peut entrainer de graves troubles de la vision et éventuellement la cécité. Refusant d’accepter les conseils médicaux conventionnels et “officiels” quant aux traitements médicamenteux et à la méthodologie appropriés, celui-ci choisit de s’autoadministrer du ganciclovir (DHPG), en optant pour un applicateur “Infusaport” (qui reste sous la peau) plutôt qu’un cathéter de Hickman encombrant et physiquement contraignant. »

L’auteur de ces lignes, Tom Kalin, analyse ensuite le film en détail. Je recommande chaudement le livre dont ce passage est extrait, A Leap In the Dark: AIDS, Art and Contemporary Cultures (eds. Allan Klusacek and Ken Morrisson, 1993, Véhicule Press).

Esther Valiquette, Extenderis (1993) — 10 min. 6 sec.
Diffusion : Vidéographe

Esther Valiquette était une artiste brillante. Elle a composé trois magnifiques pièces, Le récit d’A, Le singe bleu et Extenderis. Ses œuvres médiatiques font partie de mes préférées, car ce sont des méditations personnelles qui traitent également des problèmes liés au VIH/sida.

Extenderis se penche sur l’ADN et les fouilles archéologiques. Cette vidéo nous plonge au cœur d’un torrent hypnotique d’information issue d’un passé universel. Les images apparaissent comme si elles surgissaient d’un point éloigné pour s’enregistrer brièvement, puis semblent s’éloigner à nouveau derrière nous. Cette œuvre profondément spirituelle se construit jusqu’à ce que Valiquette réalise un chaos orchestré. La technologie est utilisée pour nous aider à expérimenter la notion d’inconscient collectif.

Cathy Sisler, Aberrant Motion #4: Face Story, Stagger Stories (1993)
— 14 min. 31 sec.

Diffusion : GIV

Je me souviens d’avoir vu pour la première fois les vidéos de Cathy Sisler et d’avoir été émerveillée et submergée par la puissance, l’humour et la rage exprimés dans ses œuvres. En 1993, je travaillais à plein temps chez GIV, et ​​nous avons acquis les vidéos de Cathy pour les distribuer. Cette dernière est décédée en décembre 2021. Le sentiment de perte est incommensurable. Ses vidéos phares sont iconoclastes, prémonitoires et lumineuses, des mots que j’utiliserais aussi pour décrire cette grande artiste.

Dans Aberrant Motion #4: Face Story, Stagger Stories, la femme tournoyante dévoile ses nombreuses étiquettes sociales : alcoolique, blanche, féminine, lesbienne, grosse. Tournoyer sur place attire l’attention, dérange et crée une rupture dans le flux des passants.

Dana Inkster, Welcome the Africville (1999) — 15 min.
Diffusion : GIV

La magnifique fiction créée par Inkster fait référence à la destruction d’Africville, une communauté établie en périphérie d’Halifax en 1969. Quatre personnages s’adressent directement à la caméra. Cette approche directe rappelle le genre « documentaire », mais ce sont en fait des acteurs qui narrent les mots doux-amers d’Inkster.

Dans Welcome to Africville, Inkster nous invite à voir ses personnages fictifs comme des sujets dans un documentaire. En 1969, la communauté d’Africville, en Nouvelle-Écosse, a été rasée. Comme le dit la voix hors champ d’Inkster, « les citoyens de la plus ancienne communauté noire urbaine du Canada ont perdu leur maison ». Welcome to Africville offre un lieu différent et durable pour la communauté disparue depuis belle lurette. Inkster crée un sentiment d’appartenance par l’entremise des personnages et des décors. Hors caméra, on entend sa voix en tant que réalisatrice de documentaires à Africville pour capter le ressenti des habitants à la veille de la démolition. Dans cet Africville, Dusty, Anna, Julius et Mary racontent leur vie et leurs amours dans un bar, sur une véranda, dans une chambre. Les personnages ne sont pas définis par leur perte imminente. Nous rencontrons plutôt des gens charismatiques, conflictuels, scandaleux et drôles. Il n’y a plus d’Africville physique. La communauté est maintenant un souvenir, des images d’archives, un mot écrit, une plaque commémorative. Welcome to Africville raconte des histoires réalistes, vibrant à travers une communauté dynamique.

 
 


 

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