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© Dora Budor & Noah Barker, Chase Manhattan (2021-2022).

 
 

Sur la valeur : l'image en mouvement

MOMENTA x Dazibao

Le 29 mai 2025 à 19 h

MOMENTA inaugure un tout nouveau cycle de projections vidéos, dont la première séance, réalisée en collaboration avec Dazibao, est commissariée par l’artiste et commissaire d’exposition Ella den Elzen sous le titre Sur la valeur : l'image en mouvement. Cette première séance propose une réflexion autour du thème du capital et de la malléabilité de la notion de valeur, à travers le regroupement d’œuvres d’artistes de la vidéo de la scène contemporaine internationale.

Programme

— Moyra Davey, Hell Notes (1990/2017) 26 min. 16 sec.
— Dora Budor & Noah Barker, Chase Manhattan (2021-2022) — 10 min 32 sec.
— Dora Budor & Noah Barker, Orange Film II (2023) — 4 min. 7 sec.
— Nandi Loaf, thê ABSOLUTE RECKONING : plot device– minimal derivative symbol impulse* (2024) — 9 min. 30 sec.
— Vera Lutz, The Happiness Experiment (2025) — 3 min. 59 sec.
— Hannah Black, Broken Windows (2022) — 15 min. 42 sec.

Un rendez-vous à ne pas manquer pour plonger dans des récits visuels percutants, à la croisée de la fiction, de l’essai et de l’expérimentation.


Sur la valeur : l’image en mouvement

Chacune des œuvres sélectionnées traite de la malléabilité propre à la notion de valeur. Dans cette série, les films examinent la signification du capital et ses mutations dans différents contextes. Débutant avec Hell Notes (1990/2017) de Moyra Davey, qui prend directement pour sujets l’argent et la monnaie, les œuvres de Sur la valeur : l’image en mouvement de Dora Budor et Noah Barker, Nandi Loaf, Vera Lutz et Hannah Black explorent les définitions alternatives de la notion de valeur en lien avec le capitalisme culturel, les marchandises, le marché de l’art et le néant.

Dans une séquence tirée de Hell Notes de Moyra Davey, nous voyons la silhouette des immeubles de Manhattan à partir d’un bateau touristique et entendons son guide déclarer que l’édifice Woolworth était autrefois surnommé la « cathédrale du commerce », ce qui suggère une union divine entre le capital et Dieu. Davey trace un parallèle entre l’argent et les excréments, tel que l’a théorisé Sigmund Freud, en précisant qu’en tant qu’êtres humains nous attribuons une valeur à l’argent puisque nous accordons de l’importance aux choses qui se situent à l’extérieur de nous-mêmes, ou plus catégoriquement, à « notre merde ». Filmé sur pellicule Super 8 mm, Hell Notes capte des vues de New York, ville où l’artiste avait récemment déménagé après avoir quitté Montréal, dont son monumental sous-sol rocheux et les chambres fortes qui y ont été taillées.

Dans Chase Manhattan (2021-2022) et Orange Film II (2023), Dora Budor et Noah Barker explorent les relations entre le capital financier et l’environnement bâti. Filmé avec une caméra portative à partir d’un véhicule en mouvement, Chase Manhattan est composé d’images fixes accompagnées de trames sonores contrastées réalisées par Stubborn et par KVANTUM. Nous poursuivons, du centre-ville de Manhattan jusqu’au tunnel Holland au New Jersey, un camion-benne qui transporte une armature de métal et des poutres d’acier provenant de la démolition d’un gratte-ciel qui occupait le 270 Park Avenue. JP Morgan Chase (la plus grande institution financière des États-Unis), qui détruit un gratte-ciel moderniste afin de permettre la construction de ses nouveaux quartiers généraux sur le même site, est la protagoniste absente de cette dérive. Dans Orange Film II de Budor et Barker tourné à Tribeca, les images reflétées par une grande sculpture en miroir sont soustraites aux moyens de production de l’œuvre : une caméra portative filme à travers un verre de vin orange. Produisant une coloration qui rappelle les films aux tons sépia du XIXᵉ siècle, le vin orange évoque matériellement un gout particulier en insistant sur la position du public qui se situe littéralement derrière la lentille des classes sociales et de la culture. Le capital culturel et l’art sont souvent mobilisés par les promoteurs immobiliers, les urbanistes et les architectes afin de générer une spéculation autour des nouveaux projets de développement. La sculpture présente dans ce film est coincée sous le 56 Leonard, un luxueux immeuble en copropriété conçu par de soi-disant « starchitectes » dont les résidences ont, à ce que l’on rapporte, presque doublé de valeur au cours des quatre dernières années.

thê ABSOLUTE RECKONING : plot device- minimal derivative symbol impulse* (2024) de Nandi Loaf est à la fois un hommage à l’oeuvre 4’33” de John Cage et une exploration des moyens par lesquels l’artiste et sa production deviennent un seul objet. Montrant l’artiste qui fixe la caméra pour la même durée que la composition de Cage, l’oeuvre de Loaf complexifie les associations de valeur produites par la création artistique. Avec ce geste minimaliste, elle réfute le précepte voulant que le rôle de l’artiste soit de performer tout en transformant simultanément sa propre image en œuvre d’art. S’inspirant en plus des stratégies de Fluxus et de Dada, comme lorsqu’elle déstabilise le public en oscillant entre une retenue et une surcharge d’informations, Loaf souhaite, comme elle l’explique : « orchestrer cet effondrement entre l’artiste et l’objet, l’œuvre et le produit, le capital et l’art. Ce renversement oblique conduit, ici encore, à l’étrange effet de ne rien créer. »

The Happiness Experiment (2025) de Vera Lutz exprime deux facettes du désir en associant des biens matériels mis au rebut à des projections de fantasmes ou d’envies. Une scène illusoire se déploie face aux mouvements des tunnels de lumière dont l’éclairage changeant produit une qualité instable semblable au souvenir ou au subconscient. La luminosité donne forme à l’informe, dévoile des amas de marchandises et d’objets quotidiens grâce à la juxtaposition de la clarté et de l’obscurité. Dans le film, la notion de valeur revêt la double signification du terme dans les domaines du cinéma et de l’économie : l’absence et la présence simultanée de la lumière ne font pas que révéler, mais construisent aussi chaque image, générant une série fugace de natures mortes. D’abord conçu comme une installation vidéo sculpturale, The Happiness Experiment est pour la première fois projeté de manière autonome dans le cadre de MOMENTA, alors qu’une toute nouvelle version de l’oeuvre sous forme d’installation à plusieurs canaux est simultanément présentée à Kunstverein München.

Broken Windows (2022) de Hannah Black suit la conversation de trois jeunes femmes qui étaient présentes lors des manifestations qui ont suivi les actes répétés de violences policières aux États-Unis en 2020. Présentée comme une série d’entretiens, l’accumulation de leurs témoignages construit un récit fragmenté à propos du moment où les manifestations se sont transformées en émeutes et en pillages. Leurs commentaires suggèrent que la participation à ces actions interrompt momentanément les systèmes de contrôle capitalistes qui dominent leur ville, niant ainsi brièvement la valeur matérielle des marchandises. Le visage de chaque protagoniste a été censuré par l’artiste en le recouvrant d’une image circulaire de contreplaqué, le même matériau utilisé pour barricader les fenêtres des boutiques de luxe durant la fervente période d’intensité politique de cet été-là. D’autres détails permettant l’identification ont été atténués par le son des sirènes de police, permettant d’utiliser la censure comme méthode de contournement des lois qui autrement criminaliseraient les personnes qui apparaissent dans l’oeuvre.

— Ella den Elzen

Traduction : Catherine Barnabé

 

Moyra Davey (née à Montréal en 1958) produit des écrits, des photographies et des images en mouvement afin d’associer le quotidien à des références discursives provenant de la théorie, de la littérature et de l’histoire. Ses films utilisent fréquemment le monologue comme narration en combinant des récits personnels à des explorations du langage et de l’intimité provenant autant d’elle-même que des figures qu’elle étudie. Récemment, ses films ont été projetés à Judy’s Death à Paris (2024), à la Berlinale – Internationale Filmfestspiele à Berlin (2023) et au Museum of Modern Art à New York (2022). Davey est l’autrice de nombreuses publications. Ses plus récents ouvrages sont The Shabbiness of Beauty (2021), Index Cards (2020) et Hemlock Forest (2016) ; elle a dernièrement collaboré à la traduction anglaise de Suzanne and Louise d’Hervé Guibert (2024). Davey vit et travaille à New York.

Dora Budor (née à Zagreb en 1984) et Noah Barker (né en Californie en 1991) vivent et travaillent à New York. Dans leurs films, Budor et Barker retracent les résonances psychogéographiques issues des sites d’exploitation et de la vie sociale. Chaque film conserve un sens du genre alors que le récit s’estompe pour favoriser le mouvement et la texture. Les artistes ont présenté leurs oeuvres vidéo collaboratives au MoMA PS1 à New York (2024), à Sgomento Zurigo à Zurich (2024), à Simian à Copenhague (2023), à Établissement d’en face à Bruxelles (2023), à la Kunsthaus Bregenz en Autriche (2022), à Fluentum à Berlin (2021-2022) et à The Wig à Berlin.

En travaillant avec l’installation, la sculpture, la peinture, l’impression et la performance, Nandi Loaf (née en 1991 à New York) examine le rôle de l’artiste et les moyens de production artistique à travers une identité autoconstruite qui se nomme « Nandi Loaf : the artist ». Par le biais de rencontres soigneusement modérées et chorégraphiées, Loaf s’affirme comme le sujet de son travail, une méthodologie critique qui révèle la circulation des capitaux culturel et financier au sein du monde de l’art. Elle a récemment présenté son travail en solo et en duo à King’s Leap à New York (2024), Profil à Paris (2024) et à la galerie Sebastian Gladstone à Los Angeles (2023). Nandi Loaf est une artiste qui vit et travaille au XXIᵉ siècle.

Vera Lutz (née à Munich en 1992) travaille avec la sculpture, l’installation et l’image en mouvement, prenant souvent comme point de départ les conditions physiques du lieu d’exposition. Parmi ses plus récentes présentations, citons une exposition en duo avec Simon Lässig à Kunstverein Munich (2025), une exposition collective à Raven Row à Londres (2025) et des expositions solos à Solutions! à Milan (2024), FELIX GAUDLITZ à Vienne (2022) et Rice à Leipzig (2021). Lutz est également coéditrice de Anna Mendelssohn Reader (2023) et coorganisatrice de la série de lecture en cours a poetics à Haus am Waldsee à Berlin. Vera Lutz vit et travaille à Berlin.

Hannah Black (née à Manchester au Royaume-Uni en 1981) est une artiste et autrice qui vit à Marseille et à New York. Son travail explore l’intersection entre les expériences individuelles/psychologiques et collectives/historiques liées aux classes sociales, aux races et aux genres. En intégrant des anecdotes personnelles et historiques, ses vidéos et installations plongent dans des contextes sociohistoriques plus larges. La pratique artistique de Black est motivée par une recherche des limites et des structures des relations humaines influencée par des traditions communistes et noires radicales. Parmi ses plus récentes expositions solos citons The Directions à Vleeshal à Middelburg (2025), Hard Limits à Galerina à New York (2024), Marked by a Blank or Occupied by a Lie à Octo à Marseille (2024), The Meaning of Life à la Art Gallery of York University à Toronto (2022) et Wheel of Fortune à gta exhibitions sur le campus Hönggerberg de ETH Zürich (2021).

Ella den Elzen (née à Toronto en 1994) est une artiste et commissaire qui vit à New York. Elle travaille avec l’écriture, la vidéo, le son, la sculpture et l’installation pour réfléchir de manière critique aux politiques et pratiques de l’environnement bâti, aux modes historiques de représentation et aux formes de production et de préservation des savoirs. Elle est actuellement assistante commissariale à Dia Art Foundation. De 2020 à 2023, elle a occupé un rôle de commissariat au sein du Centre Canadien d’Architecture (CCA).



 

Dazibao remercie MOMENTA et les artistes pour leur généreuse collaboration ainsi que son comité consultatif pour son soutien.

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