Velibor Božović
Nothing Will Surprise You Here
Du 13 avril au 17 juin 2017
Vernissage et lancement de la publication le 13 avril à 19 h
Il y a plusieurs années, Velibor Božović relevait dans un quotidien montréalais un article énonçant la volonté de la ville de Montréal de souligner le 150e anniversaire de l’invention de la photographie en nommant de nouvelles rues, dans un quartier en devenir, du nom de photographes qui ont marqué l’histoire de Montréal : Ovilla Allard, George Arless, Edgar Gariépy, Alexander Henderson, William Notman et Conrad Poirier. L’idée a piqué la curiosité de Božović, qui a entrepris des recherches exhaustives au sein de diverses archives. Lentement, il a colligé les informations. Aux noms des rues, il attache des images produites par ces photographes, divers documents où celles-ci apparaissent – souvent dans leur contexte de parution initiale –, des relevés topographiques, des vues aériennes, des cartes géographiques et plusieurs documents web attestant de l’existence de ces rues, quoique encore à ce jour ces lieux demeurent de simples terrains vagues (1). Soigneusement, l’artiste adopte l’attitude de l’historien, collige les informations, les documents, archive, structure et organise pour déterminer son propre protocole.
Protocole qui s’est avéré, pour un regard extérieur, à maintes reprises confronté à des enjeux chers à Baudrillard dans son ouvrage intitulé Simulacres et simulation. Publication dans laquelle l’auteur actualise le concept sémantique développé par Alfred Korzybski – la carte n’est pas le territoire – en développant l’idée que l’évolution des médias a brouillé les pistes entre la carte et le territoire, entre la représentation et la réalité, pour laisser place à un hyperréel : une représentation sans origine, sans prise directe sur le monde, mais pourtant nourrie par de multiples références. Donc une manière inversée d’appréhender le monde, où la carte précède le territoire, où potentiellement la représentation génère son objet.
Il est indéniable que l’intérêt pour la photographie a mû les recherches initiales de Velibor Božović. Il est d’abord photographe. Mais ce n’est pas tant le rapport à la limite anecdotique à l’image qui nous intéresse ici, mais plutôt la force d’évocation d’un lieu somme toute resté imaginaire. C’est précisément à cette expérience autre que celle d’une représentation du réel que l’artiste nous convie. Certes, les images sont là, témoignent du territoire, du passage du temps, des saisons. Tout comme les personnages, Catherine et Gustave, attestent leur présence au monde dans leurs échanges, où le lieu est clairement modelé par les sentiments et les impressions qui y sont associés, bien que tout cela reste une vue de l’esprit. Truffés de détails semant le doute quant à la cohésion temporelle de la narration ou à l’adéquation entre le lieu et les comportements, leurs déambulations et leurs récits rendent manifeste que la notion d’espace ou d’appartenance à un lieu est physique, mais qu’elle est surtout mentale et fondée sur l’expérience. Au fil des échanges et des déplacements, l’identité du lieu se dessine, semble éveiller un sentiment d’appartenance qui contribue à construire l’identité même des personnages.
Longue méditation sur la réactivation du passé dans le présent, Nothing Will Surprise You Here se déroule dans un «futur nostalgique» où les histoires individuelles se transigent comme autant d’efforts pour comprendre la complexité et la confusion de la condition humaine. Comme s’il s’agissait de donner corps – quasi littéralement, puisque l’essentiel du propos est incarné par deux protagonistes – et forme à l’idée de la transmission de l’histoire, par le biais d’une métaphore sur l’identité et le lieu d’appartenance. Se dessine alors, dans cette mise en œuvre nourrie à de multiples sources, une ligne narrative ambiguë qui relève à la fois de l’histoire personnelle, de la grande Histoire et de la fiction. Un peu comme si, à l’oubli forcé ou parfois même à l’instinct de survie, succédait, dans une sorte de nécessité, le besoin de dire sous la forme de récits fragmentés afin que puisse poindre la vérité à travers les omissions. Comme si les narrations plus personnelles, en morcelant l’histoire collective ou la version légitime d’un évènement, permettaient d’exorciser le passé ou, à tout le moins, de s’inscrire en rupture avec celui-ci.
Difficile de ne pas y voir une quête en lien avec les origines et le parcours personnel de Božović, pour qui les notions de mémoire collective, de passage, de frontières et de sentiment d’appartenance s’insinuent forcément. Pour qui aussi, inévitablement, la carte a précédé le territoire, incidemment jusqu’à le modeler.
(1) Le développement domiciliaire prévu ayant été annulé.
Cette exposition, de même que la publication qui l’accompagne, bénéficient du soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts du Canada et de la Fondation de la Famille Claudine et Stephen Bronfman.
Velibor Božović a grandi à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine. Pendant sa vingtaine, le pays de son enfance devient une zone de guerre : il passe la durée du siège de Sarajevo à parfaire ses techniques de survie. Il réside à Montréal depuis 1999 où il a complété une maitrise en arts à l’Université Concordia, après avoir travaillé à titre d’ingénieur en aérospatiale pendant plusieurs années.
Combinant des éléments autobiographiques, documentaires et fictifs, le travail de Velibor Božović s’intéresse à l'influence des images sur la mémoire. My Prisoner, 2012, une œuvre vidéo qui reconstitue un évènement survenu le 3 avril 1994 dans une Bosnie déchirée par la guerre, entremêle des images d’archives et une actualisation fictive de l’évènement. My Prisoner a récemment été présenté aux Rencontres Internationales Paris/Berlin 2016. The Lazarus Project, 2008, un projet de publication réalisé en collaboration avec Aleksandar Hemon, se penche sur la mort de Lazarus Averbuch, un jeune immigrant juif tué par le chef de police de Chicago George Shippy en 1908, a été finaliste en 2008 pour les National Book Award et National Critics Circle Award. Son travail a été présenté dans des expositions et festivals au Canada, aux États-Unis, à Cuba et en Europe. Ses photographies ont été publiées dans The New York Times, Granta, The Paris Review, Descant et le International Herald Tribune. Son travail a été soutenu par le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec. En 2015, il recevait la Bourse Claudine et Stephen Bronfman en art contemporain.
Publication
Cette exposition a été organisée pour Dazibao par France Choinière en étroite collaboration avec l’artiste. Dazibao remercie l'artiste de sa généreuse collaboration ainsi que ses membres pour leur soutien.
Dazibao reçoit l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts de Montréal, du Ministère de la Culture et des Communications et de la Ville de Montréal.